La céramique a toujours présenté en Europe une importance capitale au point d’être érigée comme en Asie à hauteur d’un art à part entière. De la simple écuelle en terre cuite à la porcelaine la plus fine, digne des plus grandes tables, cette importance peut se résumer à un principe simple : la démonstration d'opulence visant à asseoir son pouvoir ou à le manifester aux visiteurs.
On aurait tort par ailleurs de limiter l’usage de la céramique à l’art de la table : bien des pièces furent produites dans un but essentiellement décoratif. La faïence de Delft se situe entre les deux, une vaisselle à la fois d’usage et de décoration…
Née au début du XVIIe siècle, elle désigne la faïence néerlandaise produite à Delft aujourd’hui majoritairement connue pour ses décors chinoisants imitant les bleus blancs de l’Empire du Milieu.
Comment les reconnaître ? Quelle valeur présente ces objets ? Nous vous dévoilons tout ce qu’il faut savoir dans cet article afin de réaliser la meilleure des acquisitions et éviter les pièges des nombreuses copies !
Origines et histoire de la faïence de Delft ?
La faïence de Delft naît au début du XVIIe siècle dans la ville du même nom dans l’Ouest des actuels Pays-Bas. Loin d’apparaître par hasard, elle puise sa source dans le savoir-faire des maîtres italiens de la majolique, d’abord installés dans la ville d’Anvers avant que la guerre ne les pousse à délocaliser leur production à Delft.
Pourquoi un tel choix ?
Rarement expliqué, plusieurs hypothèses peuvent donner des éléments de réponse, dont tout d’abord, sa proximité
Bien moins connue qu’Amsterdam aujourd’hui, il faut rappeler que du XIVe au XVIIe siècle, Delft est l’une des plus importantes villes de Hollande.
Elle bénéficiait dès la période médiévale de canaux facilitant le transport maritime, essentiel pour le commerce mais aussi l’installation de moulins à eau qui ont largement contribué à l’essor de la fabrication de faïence dans la région.
Comme ses ancêtres de facture italienne (les majoliques), les faïences de Delft sont un type de faïence à émail stannifère autrement dit à base d’étain. Cette technique d’émaillage permit aux artisans de produire une céramique de qualité à couverte brillante et d’une certaine homogénéité.
Le premier potier mentionné à Delft est Hannen Pietersz avec son atelier « De vier Romeinse Helden ». Bien que l’on fasse remonter son installation vers 1600, la plus ancienne faïence de Delft aujourd’hui connue est datée de l’année 1609 mais il n’est pas impossible que d’autres pièces plus anciennes aient été produites.
À sa suite, de nombreux autres artisans ouvrirent également leur atelier. En 1611, est créée la “Guilde de Saint Luc” de Delft, puissante corporation qui rassembla tous les potiers de Delft mais également des artistes peintres, graveurs et sculpteurs en vue de leur procurer une certaine stabilité économique.
Nota Bene: La guilde de Saint-Luc de Delft est créée tardivement sous l’influence de Vermeer et ne connut une réelle expansion qu’au cours du XVIIe siècle avant de décliner. Par ailleurs, d’autres guildes de Saint-Luc ont existé en Europe et on en trouve trace dès le XIIIe siècle en Italie.
Influence asiatique
Les origines de la faïence de Delft sont indissociables de l’histoire de la Compagnie des Indes néerlandaises dite VOC. Créée en 1602, cette compagnie détient à l’époque le monopole commercial avec les Indes Orientales - la Chine y compris.
La mode est alors à la collection de porcelaines chinoises, ces fameux bleus blancs si caractéristiques et que toutes les familles princières s’arrachent à prix d’or.
Les artisans nouvellement installés à Delft comprennent vite l’intérêt qu’ils peuvent tirer de cet engouement.
À la faveur de troubles politiques agitant le Chine par le changement dynastique opéré par les envahisseurs Mandchous les Qing, le commerce des porcelaines est interrompu à partir des années 1740.
Mais qu’à cela ne tienne : les artisans delftois imiteront, avec les matériaux disponibles et les techniques héritées des maîtres italiens, les décors les plus prisés.
Au fond et bien que des motifs européens aient pu être également peints sur certaines pièces, la faïence de Delft s’est perfectionnée dans un but d’imitation tout en développant par le talent de ses artisans des styles bien reconnaissables et d’une grande finesse.
Développement local
Dès le XVIIe siècle, l’entreprise est un véritable succès.
Balayant le goût pour les majoliques italiennes, déjà fragilisé par l’importation en grand nombre de porcelaines chinoises, les faïences de Delft que l’on appelle faussement “porcelaines hollandaises” acquièrent une renommée internationale.
L’essor est rapide, notamment stimulé par les importantes facilités octroyées par la Hollande. Peuple de navigateurs, experts de l’import-export, les possibilités commerciales sont considérables et les liens à l’international déjà très prégnants.
Ce succès ne s’explique pas uniquement par ces compétences commerciales : la faïence de Delft atteint dès le premier siècle de son activité un niveau extrêmement élevé.
La qualité de son émail d’une blancheur remarquable, la finesse de la céramique se confondant presque avec les porcelaines qu’elles cherchent à imiter sont autant d’éléments qui participent de son succès.
En 1654, l’importante explosion d’une poudrière permet de fortifier cette expansion. Les potiers profitent de la destruction de plusieurs bâtiments du quartier situé à proximité du centre-ville pour y installer de nouvelles manufactures.
À partir du XVIIe siècle, l’expansion est telle que six moulins sont spécialement dédiés à la préparation des oxydes destinés à la décoration polychrome des céramiques. Pas moins de 17 fabriques étaient quant à elles en activité pour préparer le mélange de terres formant la pâte fine de cette faïence.
Apogée au XVIIᵉ siècle
L’apogée de la faïence de Delft survient dès le XVIIe siècle.
Les troubles en Chine occasionnent une demande d’autant plus forte de “bleu blanc” à la chinoise et les fabriques tournent à plein régime tout en maintenant dans les premiers temps un niveau élevé de qualité.
De 1660 à 1700, les ateliers se multiplient pour satisfaire la demande. Le niveau est tel que l’imitation de la porcelaine chinoise est quasi parfaite (bien que la faïence de Delft aussi fine soit elle n’ait jamais eu la transparence de la porcelaine de Chine).
Nota bene: De nombreux ateliers étrangers cherchèrent à cette période à produire des faïences similaires aux bleus de Delft - en témoignent les nombreuses demandes d’autorisation pour produire “à la manière de Delft”.
Déclin
À partir du XVIIIe siècle, la production continue d’augmenter et la qualité commence à décliner. Des pièces de faible qualité circulent et l’émulation artistique des premiers temps se tarie.
Pourquoi un tel déclin à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle ?
Comme elle le fit elle-même avec la majolique italienne, Delft finit par être supplantée par d’autres manufactures européennes.
Les origines de ce déclin sont multiples :
- La baisse de qualité
- La naissance de la faïence fine venue d’Angleterre
- La reprise du commerce avec la Chine conduisant à l’importation en Europe de quantités considérables de porcelaines qui se démocratisent
- Puis l’installation dans la seconde moitié du XVIIIe siècle de manufactures porcelainières européennes.
Nota Bene: À partir de 1682, le commerce avec la Chine s’étend à d’autres pays tels que l’Espagne, l’Angleterre et bien sûr la France avec la création par Colbert en 1664, de la Compagnie des Indes Orientales sur le modèle hollandais.
On estime que rien que la VOC a importé en Europe au cours du XVIIe siècle plus de 3 millions de porcelaines chinoises…
Quelles sont les caractéristiques distinctives de la faïence de Delft ?
La pâte et l’émail
La pâte obtenue d’un mélange
La faïence de Delft est réalisée à partir d’une pâte composée de trois terres mélangées :
- De la terre de Tournai
- De la terre de Muhlheim sur la rivière Rhur
- De la terre de Delft.
L’argile ainsi obtenue permet de réaliser des pièces plus fines que les autres types de faïences de la période.
Une fois la forme donnée à cette pâte, l’objet est cuit une première fois à basse température.
L’émaillage
On passe ensuite à l’émaillage.
La pièce est plongée dans un bain d’émail stannifère (à base d’étain) qui donne à la céramique son fond blanc caractéristique. On laisse ensuite la céramique obtenue sécher à l’air avant d’apposer les décors aux couleurs de grand feu soit le bleu, le brun, le jaune, le violet et le noir.
S’ensuit un temps de séchage puis l'application d’une couche d’émail transparent permettant de donner à la pièce sa brillance. Réalisée à base de plomb, on appelle cette préparation, le kwaart similaire à la coperta de la majolique italienne.
On cuit enfin cette pièce au grand feu. La chaleur fait fondre les émaux ce qui donne ensuite aux couleurs leur apparence définitive.
Les motifs et les décors typiques
Les décors les plus célèbres sont les bleus blancs imitant la porcelaine chinoise avec dans les premiers temps une forte inspiration des porcelaines kraak à décor de réserves fleuries.
Célèbres à tel point qu’on parle souvent de “bleus de Delft”.
Il faut cependant noter que d’autres couleurs d’émail ont été utilisées conjointement bien que la majorité de la production delftoise soit à émaillage bleu de cobalt.
L'introduction du feu de moufle vers 1725, a notamment permis d'élargir la palette de couleurs (couleurs de petit feu) tout en précipitant le délaissement des couleurs de grand feu.
On peut diviser les décors typiques des faïences de Delft en deux catégories distinctes que sont :
- Les thèmes européens/ hollandais.
- Les thèmes d’inspiration chinoise.
Les thèmes européens vont du simple paysage au sujet biblique en passant par les scènes de genre. Ils sont souvent inspirés de gravure et de peintures de la période.
N’oublions pas à ce titre que dans la guilde de Saint-Luc dans laquelle se trouvait l’essentiel des céramistes de Delft, des artistes d’autres disciplines se trouvaient bien représentés permettant aussi l’émulation artistique et la diversification des thèmes.
Les thèmes d’inspiration chinoise sont majoritaires surtout au XVIIe siècle. Systématiquement réalisés en bleu blanc ces décors présentent soit des thèmes fleuris inspirés des porcelaines kraak, soit des thèmes de paysages lacustres ou scènes de genre chinoisantes comme on les appréciait à cette époque.
On notera que les formes aussi des faïences pouvaient s’apparenter à ces inspirations notamment les pagodes à étages dont une paire a réalisé un record mondial aux enchères publiques récemment.
Les marques et signatures
Il existe une grande variété de marques correspondant aux ateliers mais aussi aux maîtres ayant réalisé les décors.
Quelques noms connus et d’une certaine rareté : Albrecht Cornelis de Keitzer (au monogramme AK), Jacobus et Adriaen Pynacker, Wouter Van Eenhorn, Quiring Kleynoven par exemple.
Des répertoires de marques sont très faciles à trouver et permettent d’identifier la plupart des potiers présents à Delft.
Comment authentifier une faïence de Delft ?
Les pièges à éviter
Les copies d’une qualité médiocre
La faïence de Delft a aussi été victime de son succès. Dès le XVIIIe siècle, des ateliers étrangers se mettent à réaliser des pièces “à la manière de Delft” d’une qualité bien médiocre en comparaison des originaux. Ces faux anciens sont trompeurs. Ils peuvent être collectionnés car il s’agit néanmoins de céramiques d’époque cependant attention à ne pas les confondre !
Les faussaires
Par ailleurs, des céramistes ont copié peu scrupuleusement certaines marques de grands maîtres. Observez avec soin la signature et surtout comparez cette dernière avec des exemplaires connus avant de conclure que la pièce est authentique.
N’oubliez pas que cette signature doit être en cohérence avec la qualité de l’émaillage et du dessin. Il est très peu probable qu’une pièce authentique présente un faible niveau de décor avec une signature d’un artiste delftois renommé.
Nos conseils pour identifier vos faïence de Delft
Quelques observations sur l’apparence et l’aspect général que doit présenter une authentique faïence de Delft :
La surface
Une surface lisse avec un émail d’une dureté remarquable imitant bien la porcelaine et ne souffrant pas d'écaillage de l'émail. Ceci est dû à sa technique de vitrification qui le rend solidaire du tesson ce qui prévient la chute de matière.
L’émaillage présente régulièrement de petits trous.
La couleur
La couleur de l’argile, que l’on peut voir soit transparaître à l’endroit d’une cassure soit au niveau d’un défaut d’émaillage, est de couleur beige parfois légèrement rosée (en fonction de la présence ou non d’oxydes de fer).
Les légers pointillés présents
La présence parfois timide de légers pointillés guidant le peintre lié à l’utilisation d'un poncif (calque à petits trous).
Les poncifs étaient en effet saupoudrés de poussière de charbon ce qui laisse sur certaines pièces quelques marques.
Notez aussi qu’à la fin du XVIIe siècle naît la technique du trek qui vise à souligner les certains décors à l’aide d’une pointe. Ces éléments peuvent ainsi vous aider à assurer une meilleure datation.
Les pièces présentent le plus souvent des marques de supports qui les soutenaient à l'intérieur des cazettes, sorte de contenants en terre cuite dans lesquels les pièces à cuire étaient empilées afin de les protéger des projections de cendres.
Soyez attentifs aux détails car c’est parmi eux que se cache la contrefaçon.
Un seul maître mot : LA COHÉRENCE !
Comme toujours, gare aux désillusions !
La valeur d'une faïence de Delft
Quels sont les facteurs influençant la valeur de votre faïence ?
Comme toujours, plusieurs éléments entrent en ligne de compte.
L’ancienneté
D’abord, l’ancienneté de la faïence.
Comme expliqué plus haut, la faïence de Delft a été produite en grand nombre à partir du XVIIIe siècle puis en série voire de façon industrielle au XIXe siècle. Les pièces issues de ces productions sont de fait de bien moindre valeur que celles des débuts.
Par ailleurs, les faïences XIXe se contentent dans leur grande majorité d’être des réminiscences des modèles passés : ces objets relèvent ainsi plus de la copie qu’autre chose et sont donc nettement moins plébiscités (à juste titre par ailleurs).
La forme
Ensuite, la forme de l’objet.
Les pièces de forme tendent à réaliser de meilleurs prix que de simples plats ronds ou assiettes. Plus la forme de l’objet est complexe, plus ce dernier est susceptible de présenter une certaine valeur.
La consistance, le décor et la pureté
Les pièces les plus fines et les plus légères sont majoritairement les plus intéressantes et recherchées.
Profondeur des émaux, finesse du trait, élégance du motif et du thème abordé : ces éléments qui se rapportent au décor ont une grande importance pour l’estimation.
La pureté de l’engobe est également importante. Le blanc doit être intense et éclatant. Les profondeurs de camaïeux profonds et nuancés.
Certains décors comme celui imitant le style japonais Imari avec un émaillage bleu, rouge et or notamment inventé par Cornelis Aelbrecht de Keizer et maîtrisé par un très petit nombre de maîtres comme Adrien Pynacker font partie des pièces les plus recherchées.
Où faire estimer votre faïence ?
La voie recommandée est de faire appel à un commissaire-priseur lequel pourra en fonction de la qualité de l’objet recourir ou non à un expert pour une éventuelle mise en vente.
Vous souhaitez faire estimer votre faïence ? Contactez-nous.
Où acheter ?
Les faïences de Delft ont connu un tel succès qu’il est très facile aujourd’hui de s’en procurer, souvent à des prix tout à fait raisonnables.
Comme la production fut très importante, de nombreux modèles anciens mais courants circulent sur le marché de l’art.
Ces pièces sont tout à fait abordables et peuvent être acquises pour un montant allant en moyenne de 40 à 300 euros. Il est rare que des pièces de ce type dépassent quelques centaines d’euros.
Pour les pièces les plus remarquables, notamment les exemplaires signés de maîtres recherchés et datant du XVIIe siècle, le prix peut être bien plus conséquent, de quelques centaines à plusieurs milliers d’euros.
De belles découvertes peuvent également être faites au détour d’une brocante : les signatures étant peu connues du grand public une bonne affaire est toujours possible pour un œil avisé y compris en ventes publiques.
Le record pour la faïence de Delft revient à une paire de pyramides monumentales provenant de la collection du comte Édouard de Ribes, acquise par une institution pour un montant de 1 040 000 euros !
Conclusion
La faïence de Delft est passionnante car éminemment décorative et d’une grande diversité.
Elle est actuellement peu plébiscitée sur le marché de l’art. Si certaines pièces atteignent des prix élevés, ce n’est que l’exception qui confirme la règle. La majorité des pièces se négocient à moins d’une centaine d’euros, quelques centaines tout au plus pour des pièces anciennes sauf exceptions et signatures rarissimes.
Rien n’empêche donc l’amateur de débuter une collection avec en tête ces quelques conseils qui vous permettront d’éviter les déconvenues des premiers achats précipités !