L’Art Baroque ou l’art de l’excès maîtrisé

Définir le baroque est complexe. 

Née en Italie à la fin entre XV° et le début du XVII° siècle et s’achevant au début du XVIII° siècle, la notion s’est vue affublée de bien des positionnements. Il faut dire que l’on a intégré dans ce mouvement relativement indéfini et donc bien pratique tout ce que le XVIIe siècle a fait de plus théâtral.

Nous allons ici revenir sur une définition simple basée sur les points communs qui relient au sein de ce même mouvement les différentes disciplines artistiques. Ceci afin de faire émerger à la fois l’extraordinaire variété de productions de cette période et ses fondements philosophiques et formels. L’art baroque a en effet été à l’origine de nombreux chefs-d’œuvre et les grands noms de ce mouvement comptent encore aujourd’hui parmi les plus grands maîtres de toute l’histoire de l’art. 

Plongez au cœur d’un art qui a érigé le grandiloquent et l’exubérance au service de la religion et des puissants.

Qu’est-ce que le baroque ?

Définition du baroque

Étymologiquement, le mot baroque est issu du portugais “barroco” qui qualifiait autrefois en joaillerie une “perle irrégulière”. 

Il n’est pas constitué comme un mouvement unique et encore moins par une école. L’art baroque est plutôt un style artistique né en Italie faisant suite à la Renaissance et au Maniérisme pour disparaître progressivement au profit d’un art classique à partir du XVIII° siècle. 

Si ce style prend bel et bien racine dans des villes telles que Rome, Mantoue, Venise ou Florence, il se diffuse ensuite en Europe notamment en France, en Espagne ou encore en Russie où il prospérera pendant plus d’un siècle sous des formes variées. 

Car le baroque ne se cantonne pas à une seule forme d’expression artistique : essentiellement né de l’architecture, il s’étend aussi bien à la peinture qu’à la sculpture, la musique, le théâtre et même à certains égards à la littérature. 

Prônant, en réaction à la Réforme protestante, un art théâtralisé, exubérant, mettant en exergue les sentiments et le mouvement, il aspire à exacerber les images majoritairement pieuses de la période. Le style baroque est donc un art de la démonstration et ce dans toutes les disciplines. 

Les origines de l’art baroque

Une naissance italienne au tournant du XVIᵉ siècle

L’art baroque naît en Italie dans la seconde moitié du XVI° siècle presque concomitamment à Rome, Florence, Venise et Mantoue. 

Si aujourd’hui on n’hésite plus à utiliser le terme de baroque pour qualifier ce style si particulier, il n’en fut pas toujours ainsi. Pas un artiste de la période n’a utilisé cette qualification pour se définir préférant le terme de “classique” ou “moderne” ou comme on l’intitulait en France “un genre à la romaine”. 

Un terme tardif, parfois péjoratif

Aussi le terme est-il plutôt apparu au XVIII° siècle et pas toujours d’un point de vue mélioratif. Car si étymologiquement baroque dérive de l’expression portugaise désignant une perle irrégulière, c’est bien sous le prisme de l’irrégularité que l’on a bien souvent présenté le baroque alors que l’art classique l’avait déjà supplanté. 

Au XIX° siècle le terme se comprend, de manière générale, d’un point de vue strictement laudatif. Il n’est utilisé pour désigner un style artistique qu’à partir de 1855 sous la plume de l’historien Burckhardt avant d’être repris officiellement par le dictionnaire français en 1878. 

Entre héritage maniériste et réaction religieuse

L’art baroque ne naît pas ex nihilo : il suit en réalité un style d’entre deux que l’on considère désormais de façon plus prégnante en histoire de l’art : le maniérisme. Ce dernier est un mouvement que l’on peut faire remonter à l’œuvre de Michel Ange. On observait déjà dans les réalisations des maîtres de la première moitié du XVI° siècle un certain goût pour l’exubérance et la théâtralité à l’image du jugement dernier dans la Chapelle Sixtine ou la bataille d’Anghiari de Léonard de Vinci. Mais cette filiation n’explique à elle seule l’émergence d’un tel style. C’est en réalité en réaction à la Réforme protestante initiée par les pays du nord de l’Europe que le baroque s’affirme. 

Rejetant l’humilité et l’absence de représentation prônée par les suiveurs de Calvin, l’art baroque déploie au contraire tous les artifices les plus ostentatoires afin de marquer le fidèle. 

Les caractéristiques du baroque

Un art exubérant au service de la démonstration

L’art Baroque est un art de l’ostentation et de l’exubérance. 

Il se caractérise d’abord par un foisonnement dans la représentation : enchevêtrement des corps, multiplicité des personnages, surcharge décorative… Tout concourt à éblouir le visiteur que ce soit en architecture, en peinture ou en sculpture. 

Héritier plus ou moins direct du maniérisme et des peintres de la Renaissance, le baroque se veut également empreint d’une certaine exagération dans les mouvements et l’expression des sentiments.

Vierges dolorosa, transcendance divine, éclats de lumière traversant les nuages dans des scènes mythologiques ou religieuses, c’est encore dans la démonstration que le baroque se révèle le mieux. 

L’Église, moteur artistique et politique

Or cet art si exacerbé a aussi été engendré par un contexte florissant : le XVII° siècle est un siècle de bouleversement. La chrétienté est en prise avec la Réforme protestante qui rejette le catholicisme tel qu’il est pratiqué et promu par Rome. L’art prend dès lors des allures de manifeste presque politique au service des puissants et notamment de la toute-puissante Sainte Église Romaine. 

Afin de marquer les esprits et d’éblouir les fidèles tout en les détournant du protestantisme, la papauté impulse de profonds changements notamment urbanistiques. La capitale est en effervescence et les travaux sont lancés un peu partout : places publiques, églises, chapelles, palais… 

Rien n’est trop beau pour réaffirmer la puissance de l’Église et son pouvoir spirituel. Or quel meilleur moyen d’éblouir que par la surcharge décorative, l’exubérance de l’architecture et l’opulence ? 

Une esthétique monumentale et théâtrale

Aussi affirmons-nous ici que l’art baroque loin d’exister ex nihilo s’est largement développé au contact des architectes. D’abord par l’élévation même des bâtiments mais aussi par leur décoration intérieure : fresques gigantesques et autres ensembles statuaires furent en effet fréquemment commandés en parallèle. 

Il est donc naturel que la peinture et la sculpture aient suivi cette même exubérance voulue dans l’architecture : mieux encore, l’exacerbation des représentations, leur foisonnement, s’expliquait aussi par la démesure des constructions. 

Cette réaffirmation s’effectue en suivant les recommandations du Concile de Trente (1545-1563) qui promulgue un certain nombre de règles et positions stylistiques dans la représentation de l’iconographie avec le fameux “Décret sur l’innovation et les reliques des saints, et sur les images saintes”. 

Une diffusion européenne et profane

La démesure n’est pas l’apanage de l’Église et de ses commandes. Dans toute l’Italie puis dans le reste de l’Europe, en particulier en France, en Espagne et aux Pays-Bas, l’art baroque se diffuse bien au-delà de simples considérations religieuses. 

Car les puissants aussi ont compris dans la droite lignée des enseignements de Machiavel que ce qui compte est moins d’être riche et puissant que de montrer qu’on l’est ! 

En cela l’architecture baroque ne fait pas que renouveler les élévations extérieures et l’apparence générale des façades : l’intérieur aussi devient un théâtre où tout doit concourir à l’expression de la puissance du propriétaire. 

Les appartements se conçoivent le plus souvent en enfilade avec une gradation de l’effet spectaculaire allant du plus simple au plus stupéfiant. 

Aussi le visiteur est-il indubitablement invité à se faufiler à travers une succession de chambres et d’antichambres aux plafonds richement décorés de scènes souvent inspirées de l’Antiquité avant de rencontrer le Prince qui reçoit. (Les Grands Appartements du Roi à Versailles en sont probablement l’un des meilleurs exemples.) 

Une réinvention libre de l’Antiquité

Le répertoire décoratif baroque est très étendu mais reste héritier de la tradition renaissante 

et maniériste, lesquelles s’inspirent directement de l’Antiquité. 

Il ne faut pas oublier que les travaux urbanistiques en particulier à Rome font ressurgir des profondeurs du sol italien, de nombreux vestiges antiques. Marbres, bijoux, éléments d’architecture, mosaïques, peintures enfouies… les artistes ont à leur disposition une myriade de modèles qu’ils reprennent allègrement sans pour autant en donner une imitation scrupuleuse. 

L’art baroque se distingue en cela nettement de l’art classique qui revient à une interprétation plus stricte de l’Antiquité. Ici, tout est courbe et contre courbe, volutes et arabesques avec des élévations éventuellement ponctuées de pilastres et corniches aux lignes plus droites. 

Un art total tourné vers l’émotion

Finalement, comprendre l’art baroque c’est encore retenir que peu importe le prisme de sa définition qui peut être large, il se caractérise par un sens du spectaculaire et de la théâtralité qui s’exprime aussi bien en architecture que dans toutes les autres disciplines artistiques. Ces dernières découlent d’ailleurs bien souvent de cette nouvelle monumentalité. 

Éblouir, émouvoir, théâtraliser et marquer le spectateur: tels sont les maîtres mots des artistes dits baroques. 

Les principaux artistes et œuvres du baroque

Les artistes du baroque

Caravage (1571-1610) 

Caravage - Peinture XVII siècle

Né en 1571 à Milan et mort en 1610 à Porto Ercole, Le Caravage est parfois considéré comme un artiste “proto-baroque”. 

Pour autant, sa peinture possède toutes les caractéristiques de la période : théâtralité, scènes dramatiques souvent violentes et clair-obscur intense permettant d’exacerber les figures et de mettre en avant un éclairage direct dans une orchestration scénique mais réaliste, le maître lombard aura une influence considérable sur ses suiveurs que l’on affublera plus tard du nom “caravagesques”. 

Le Bernin (1598-1680) 

Né à Naples en 1598 et mort à Rome en 1680, Gian Lorenzo Bernini plus communément appelé Le Bernin est le plus grand et le plus célèbre sculpteur (également architecte) de la période. 

Ayant joui d’une extraordinaire renommée y compris de son vivant, cela le conduira à servir aussi bien les ambitions papales que celles de la Cour de France avec Louis XIV. 

Son art se caractérise par une recherche de mouvement et de torsion, une extrême précision dans la sculpture proche de l’illusion se mesurant ainsi aux grands maîtres de l’Antiquité qu’il cherchait à égaler.

Charles le Brun (1619-1680)

Né à Paris en 1619 où il décède également en 1680, Le Brun est l’un des principaux peintres et décorateurs français de la période baroque. 

Premier peintre du roi Louis XIV, directeur de l’Académie royale de peinture et de sculpture, et de la Manufacture royale des Gobelins, son art exercera une considérable influence sur tous ses contemporains. 

Sa palette aux couleurs d’une incroyable richesse et d’une extrême profondeur permettant les forts contrastes est caractéristique. Prenant l’Antiquité pour thème majeur d’inspiration, son art tout entier est au service de Sa Majesté le roi de France: en cela il est parfois considéré comme un peintre de propagande. 

Rubens (1577-1640) 

Peintre flamand né à Siegen et mort à Anvers en 1640, il est le principal représentant du baroque flamand et l’un des principaux artistes de la période. 

Son art se caractérise par une riche palette aux couleurs éclatantes et des compositions souvent très fournies avec des enchevêtrements de corps aux courbes réalistes et un éclairage théâtral caractéristique. 

Pierre de Cortone (1596-1669)

Né à Cortone en Italie en 1596 et mort à Rome à 1669, Pierre de Cortone à la fois peintre et architecte est considéré comme l’un des grands initiateurs du baroque italien. 

Il est principalement connu pour son habileté dans la peinture de fresques avec un talent certain pour le trompe-l’œil et l’illusionnisme. 

Les chefs-d’œuvre du baroque

Le Caravage, Judith et Holopherne 1598. 

Le Caravage, Judith et Holopherne 1598. 

Dans cette toile dramatique, Le Caravage donne à voir l’instant précis où Judith décapite le général assyrien Holopherne. L’intensité du clair-obscur et la crudité de la scène renforcent l’effet de sidération. À la fois brutale et sublime, cette œuvre incarne parfaitement le baroque naissant, où la lumière devient vecteur d’émotion et le réalisme un moyen de toucher le spectateur au plus profond.

Le Bernin, L’Extase de Sainte Thérèse 

Chef-d’œuvre du baroque sculptural, cette composition marie virtuosité technique et exaltation mystique. Le marbre semble animé d’un souffle divin : la posture abandonnée de Thérèse, transpercée par une flèche angélique, rend visible une extase spirituelle d’une intensité troublante. Plus qu’une scène religieuse, le Bernin sculpte ici une expérience intérieure théâtralisée.

Orazio Grassi, Carlo Maderno Église Saint Ignace de Loyola 1650. 

Cette église jésuite à Rome constitue l’un des grands manifestes architecturaux du baroque religieux. Grassi et Maderno conçoivent un espace scénique où tout — coupole peinte, illusionnisme perspectif, abondance de décors — concourt à la glorification de la foi catholique. La fusion de l’architecture et du trompe-l’œil y atteint une efficacité didactique propre à l’esprit de la Contre-Réforme

Le Bernin, L’enlèvement de Proserpine 1621.

Cette sculpture monumentale, réalisée par un Bernin à peine âgé de 23 ans, impressionne par sa puissance physique et sa sensualité tragique. Les doigts de Pluton s’enfonçant dans la chair de Proserpine, la dynamique du mouvement, la tension des corps : tout concourt à exprimer la violence de l’action avec une intensité saisissante. Un sommet du baroque expressif.

Rubens, Le Débarquement de la reine à Marseille, le 3 novembre 1600, 1623–1625.

Rubens, Le Débarquement de la reine à Marseille, le 3 novembre 1600, 1623–1625.

Commandée pour la galerie Médicis du Palais du Luxembourg, cette œuvre célèbre le prestige monarchique à travers une mise en scène fastueuse. Rubens y déploie une composition riche, saturée de symboles et de figures allégoriques. Le pouvoir royal devient un spectacle visuel, dans lequel mythologie et politique fusionnent dans une exubérance typiquement baroque.

L’influence de l’art baroque

Une influence européenne et pluridisciplinaire

L’art baroque s’est développé dans toute l’Europe et a exercé une influence considérable sur les arts.

Si l’on a abordé ici essentiellement les beaux-arts, il ne faut pas oublier que le théâtre et la musique ont également participé de ce mouvement avec comme leitmotiv cette même volonté d’éblouir et de manifester sous toutes ses formes le triomphe tantôt de la religion, tantôt de la puissance du Prince. 

Conflits culturels et affirmation nationale

La période est aussi empreinte de rivalité entre centres de production artistique notamment entre la France et l’Italie. La rupture est d’ailleurs consommée lorsque la Cour de France rejette sans vergogne le projet du Bernin pour la colonnade du Louvre, l’un des artistes les plus importants de la période, arguant d’un art trop italien manquant de mesure. 

Vers le classicisme et au-delà

L’art Baroque va par son exubérance former le terreau fertile d’un art classique qui le supplantera progressivement au profit d’une architecture et d’une peinture plus mesurée, plus droite, plus tournée vers la raison et moins vers l’expression de la sentimentalité exacerbée. 

N’oublions pas néanmoins que le style rocaille notamment à la fin de la Régence en France et sous Louis XV ne manquera pas de faire revivre le goût pour la surcharge décorative et l’ostentation. 

Au fond, on constate que les mouvements se succèdent souvent en réaction à ce qui les précède : peu de décors faisant ainsi place à une exubérance affichée et l’exubérance affichée laissant place à une rigueur mesurée mais non moins remarquable. 

Conclusion

L’art Baroque, vous l’aurez compris, n’est pas une notion uniforme dans le temps et dans l’espace. Le mouvement a touché divers pays européens et on a regroupé sous ce terme des réalités très diverses se rejoignant néanmoins sur un point crucial : l’art au service du spectaculaire et de l’émotion. 

Si l’on a parfois critiqué le baroque pour son aspect très ostentatoire, on en oublie néanmoins son goût pour la virtuosité. 

Cette dernière devrait toujours être une qualité que l’art devrait rechercher afin de ne jamais se contenter de la pauvreté du minimalisme que l’on érige aujourd’hui en modèle pour ne choquer personne si ce n’est les gens de bon goût. 

Si l’on peut reconnaître une chose au baroque c’est que jamais on ne pourra lui dénier son audace ! Or la fortune ne sourit-elle pas aux audacieux ?